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Jamais aucun Terrien n’avait dû assister à une conférence aussi étrange que celle-ci : dix-huit participants dont huit Troogs. Et les dix autres étaient des êtres humains qui avaient joué un rôle important dans toute cette histoire de transfert intergalactique : Enro, Leej, les Crang, les Prescott, plus Breemeg et les trois savants du navire de guerre dzan.
Même ceux qui connaissaient bien la Sémantique générale s’attendaient à entendre des informations ou une analyse qui transcenderaient ce qu’ils auraient normalement considéré comme une connaissance adéquate du sujet.
Et Gosseyn, qui se tenait debout sur l’estrade de ce petit auditorium, se dit avec un certain étonnement que leur attente était justifiée.
Il n’avait pas vraiment de nouvelles données à leur proposer, mais une nouvelle prise de conscience…
— La Sémantique générale ne se soucie pas des réalités qui sous-tendent l’existence ou la non-existence, expliqua-t-il.
« Elle commence par l’acceptation des perceptions et opère dans le cadre de ce que tout être humain normal, tout animal ou tout insecte peut percevoir par le système sensoriel dont il est équipé.
« Mais mon cerveau second semble fonctionner au niveau du néant sous-jacent à l’être. Pour le cerveau second opérant une similarisation à vingt décimales, il n’y a ni distance, ni temps, ni univers…
« L’univers pourrait ne pas exister, vous êtes d’accord là-dessus. On ne peut donner aucune explication de l’univers.
« Cependant il est là, autour de nous, et il s’étend, disent les savants, dans toutes les directions, sur des distances immenses mais finies.
« Ce serait d’ailleurs fort intéressant de percevoir où cette « distance finie » « se termine ».
« On ne définit pas le « néant » par rapport au vide. Ce n’est pas un espace vide, petit ou grand. Ce n’est même pas un point mathématique.
« Le néant… c’est rien.
« C’est la non-existence, le non-être, sans espace ni temps… rien.
« On a estimé à environ trois mille le nombre de langues parlées rien que sur Terre. Dans toutes ces têtes, observables au niveau de conscience où opère la perception, il y a une structure neurale qui permet à chaque individu, s’il a reçu une certaine instruction, d’exprimer toutes les nuances possibles de l’observation et du raisonnement philosophique, disponibles dans ce langage.
« La similarisation normale, à vingt décimales, d’un Gosseyn déplace simplement l’individu d’un lieu à un autre. Une transmission de ce type l’expédie tel qu’il est. Il n’y a aucune transformation de ses structures internes.
« Cependant, le vaisseau de guerre dzan et tout son équipage n’ont pas simplement été déplacés d’un lieu mémorisé par mon cerveau second à un autre, également mémorisé.
« Ils sont venus tout droit vers moi, comme si je constituais un lieu d’arrivée. Et s’il n’y a pas eu collision entre l’énorme vaisseau et la petite capsule qui contenait mon corps, c’est tout simplement parce que le navire de guerre possédait des écrans énergétiques qui l’empêchaient, automatiquement, d’entrer en contact avec des objets flottant dans l’espace.
« Néanmoins, le processus de similarisation n’a pas été annulé. Mon cerveau second, qui a fonctionné dans le néant de l’univers, était la force d’activation et non l’un des éléments de la similarisation neurale d’une partie de mon cerveau « normal ».
« Alors, dès son arrivée, le cerveau de chaque Dzan a été transformé aux niveaux les plus intimement reliés à mon cerveau. Y compris les structures neurales concernant le langage… puisqu’elles venaient de recevoir mes messages. Messages qui étaient enregistrés dans une autre partie de mon cerveau normal.
« Si bien que les complexes neuraux des cerveaux des Dzans, puis des Troogs, impliqués dans l’acquisition du langage, ont été légèrement altérés. Les combinaisons nerveuses de stockage du langage dzan ou troog se sont déplacées vers les modèles équivalents du français.
« À une vitesse de similarisation à vingt décimales ; c’est-à-dire, instantanément…
« Ni la personnalité, ni l’éducation, ni aucune information d’aucune sorte ne sont entrées en ligne de compte.
« Simplement, mon langage était… le français !
« Et maintenant, conclut Gosseyn, avez-vous des questions à poser ?